mardi 20 janvier 2015

Au fil des pages : "Quatre années chez les Viets" - Jean Jacques Beucler

          « Quatre années chez les Viets » paru aux Editions Lettres du monde en 1977 est un témoignage de 94 pages sur la captivité que Jean Jacques Beucler effectua au camp n° 1 de 1950 à 1954.


L’auteur :
Né en 1923 et décédé en 1999, Jean Jacques Beucler, est généralement connu pour le fait qu’il est en 1991 à l’origine de « l’affaire Boudarel ». Ce que l’on sait moins en revanche c’est que l’homme a eu une vie très riche puisqu’il a servi dans l’armée pendant 13 ans, puis dirigé une entreprise pendant 22 ans tout en menant en parallèle une carrière politique à partir de 1966. Devenu maire de Corbenay (Haute Saône), il a par la suite exercé le mandat de député (URP, PDM, Union centriste) avant de devenir secrétaire d’Etat à la Défense de 1977 à 1978.


Dans son livre, « Quatre années chez les Viets », Jean Jacques Beucler  nous fait le récit de son séjour derrière le « rideau de bambou », période qui clôture l’intermède de sa vie sous les armes (1942-1955)
En effet, après s’être engagé en décembre 1942 au Maroc puis avoir été admis à Saint-Cyr, Jean Jacques Beucler fait sa formation d’officier à l’école de Cherchell dont il sort major de promotion. Par la suite il participe aux campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne dans les rangs des tirailleurs marocains avant de partir fin 1949 avec le 3° Tabor marocain pour l’Indochine. Aérotransporté avec son bataillon sur Cao Bang afin de renforcer la colonne Charton, il est fait prisonnier lors du repli de That Khê sur la RC 4. Il passe ensuite quatre années de détention au camp n°1, où parmi les « hôtes forcés de la république démocratique du Vietnam », pour reprendre la formule consacrée, Jean Jacques Beucler occupe une place à part car sa personnalité et son rôle lui valent de devenir aux côtés du commandant Feaugas, ex chef de corps du 1er Tabor, le représentant des prisonniers auprès du chef de camp. Doué d’une santé irréprochable, d’un moral à toute épreuve et d’une droiture de caractère sans faille, l’homme a traversé ces quatre années d’épreuves sans pratiquement jamais tomber malade, sans défaillir et surtout… sans tomber dans le piège de la compromission avec l’ennemi… ce qui n’était pas la chose la plus facile dans une position aussi "exposée" que la sienne...
Son action soulignée en de multiples circonstances dans les nombreux récits de captivité rédigés par ses pairs, lui a valu par la suite de servir de modèle pour des personnages de roman…
Jean Lartéguy s’est en effet inspiré de sa personnalité et de son action pour en faire le sous lieutenant Yves Marindelle, à ceci près que Marindelle était issu des FTP ce qui n’était pas le cas du lieutenant Beucler…
Le père Albert Stilhé, fait prisonnier en novembre 1952 après les combats de Moc Chau et détenu avec Jean Jacques Beucler au camp n°1, en a fait le lieutenant Grandperrin dans son livre « Le prètre et le commissaire ».
Jean Pouget, capturé par le Vietminh à Dien Bien Phû,  dans «  Le manifeste du camp n°1 » l’a enfin pour sa part choisi comme modèle pour décrire le lieutenant Leyrieux, personnage atypique du camp…



Le récit.
Articulé en huit courts chapitres, son récit initialement destiné à servir de support à la conférence qu’il a prononcé en de multiples lieux et devant des auditoires très divers  afin de témoigner du sacrifice consenti par nos troupes en Extrême Orient, est un  remarquable témoignage sur la vie au camp n°1.
Sans jamais se départir de la modération du discours et de la pondération d’attitude qui ont été les siens pendant ces quatre années, Jean Jacques Beucler nous livre tout à la fois un récit de captivité, une analyse des événements qu’il a vécus tout au long de ces quatre années et une leçon de sagesse.
Le livre s’ouvre sur une préface d’Edgar Faure où sont soulignés les traits saillants de la personnalité de l’auteur et comment Jean Jacques Beucler, par la ruse, l’habileté, la diplomatie, le sens inné du dialogue… n’excluant ni le courage ni l’exemplarité du comportement… a réussi à canaliser la pression du système concentrationnaire communiste pour permettre à ses camarades de survivre.
Après avoir précisé le pourquoi de ce témoignage, Jean Jacques Beucler nous décrit brièvement les différentes phases par lesquelles ses camarades et lui sont passés au cours de cette sombre période.
Une fois rappelées succinctement les circonstances dans lesquelles il fut capturé, l’auteur nous « raconte » le camp n°1 en nous présentant les lieux puis essaye de nous faire comprendre le fonctionnement du mode opératoire vietminh pour « tuer le vieil homme » et transformer les « colonialistes cupides », les « impérialistes avides » ou les « fils de France égarés » qu’étaient lui et ses camarades avant leur capture, en « valeureux combattants de la paix ».
Jean Jacques Beucler distingue ainsi trois phases bien spécifiques dans la captivité :
- la phase de décantation : elle a pour objet de faire prendre conscience aux prisonniers de leur situation en leur  « proposant le marché », à savoir jouer le jeu ou pas afin de devenir de valeureux « combattants de la paix » ;
- la phase de mise en condition : son but est de mettre à l’épreuve les esprits et d’affaiblir l’organisme par les efforts physiques et la sous-alimentation, afin d’amener les prisonniers à un dilemme : céder et survivre en acceptant de « jouer le jeu » ou mourir de faim, de manque de soins et de misère physiologique ;
- la phase d’abdication : c’est là l’évolution inéluctable qui attend les prisonniers, sauf bien entendu pour ceux qui comme le capitaine Cazaux ont refusé et y ont laissé la vie, et qui ouvre sur les autocritiques, les discussions politiques, la signature des manifestes… permettant aux plus zélés de bénéficier de libérations anticipées… Les évasions infructueuses et le passage obligé « au buffles » après leur capture des « fortes têtes », les déménagements du camp après chaque libération ou survol accidentel de l’aviation française, le lavage de cerveau, les décès et les arrivées de nouveaux prisonniers… ponctuent ainsi les trois années qui s’écoulent jusqu’à l’été 1954 où intervient enfin le rapatriement des prisonniers survivants…
Jean Jacques Beucler achève son récit en tirant les « leçons » de son séjour forcé au "paradis communiste" et en nous livrant quelques enseignements très terre à terre, chargés de cet humour qui lui a permis d’émerger de la masse et d’aider les autres à survivre dans cet enfer du camp n°1…
Parmi ces enseignements il y en a quelques uns que j’ai particulièrement appréciés et que je livre ci après :
« …J’ai acquis le goût de la liberté et celui, corollaire, du sourire, sans lesquels la vie ne mérite pas d’être vécue… »
 - « … J’ai appris aussi à respecter une hiérarchie de la valeur des choses. Ne dilapidons pas notre réserve de sérénité pour un rôti brûlé ou un train manqué. Les coups du sort enseignent à supporter les chiquenaudes du quotidien…. »
- « … Dans mes bagages, j’ai rapporté quelques réflexes : l’autocritique pratiquée avec spontanéité facilite les rapports humains… »
- « … L’habitude de souffrir en groupe m’a inculqué un respect profond pour mon voisin, quel qu’il soit... »


Mon avis :
Si ce livre est très intéressant en ce sens qu’il constitue un témoignage de grande valeur écrit par un ancien du camp n°1 qui a eu à cœur à la fin des années 70 de démasquer et de pourchasser Boudarel, l’ancien commissaire politique adjoint du camp 111 afin de respecter l’un des derniers souhaits de l’un de ses camarades de captivité, j’avoue toutefois que j’aurais aimé que l’auteur développe davantage son propos…
Au-delà de la concision du récit, je trouve en effet qu’au regard du rôle crucial joué par Jean Jacques Beucler pendant ses quatre années de captivité ce récit ne reflète qu’imparfaitement l’importance et la finesse de son action d’interposition et de médiation entre ses camarades et les autorités communistes, jeu difficile s’il en était... Je crois que l’auteur, à la façon de Louis Stien ou de René Moreau, pour ne citer que ces deux seuls noms, aurait pu parler davantage du vécu quotidien du camp, des comportements individuels ou de sa perception du système communiste.  Il y avait là assurément matière à écrire longuement mais sans doute l’empreinte laissée par son séjour en captivité, alliée à la manifestation de cette modestie qui fit l’unanimité auprès de ses camarades, l’ont-elle conduit à faire le choix de la concision… et de la mise en retrait de l’auteur tout au long de ces 94 pages…

A lire et relire sans modération… voir à écouter : http://www.ina.fr/audio/PHD97006460