mardi 10 octobre 2017

A la découverte du Hanoï colonial : la citadelle (secteur nord-ouest)

         Après l'ancienne caserne Balny d'Avricourt, la visite de la citadelle se poursuit par l'exploration du secteur nord-ouest occupé autrefois par le stade Mangin, la direction de l'Artillerie et les services de l'Intendance tout au nord en bordure de l'ex boulevard Carnot.


http://philippe.millour.free.fr/Indochine/CitadelleHanoi.html


En ressortant du musée d'histoire militaire il faut contourner l'ancienne emprise par la droite et s'engager sur l'ex boulevard Victor Hugo pour pénétrer dans ce qui était autrefois le stade Mangin.


L'ancien stade Mangin vu depuis la Porte Nord


Miraculeusement préservé même si des modifications ont été apportées à ce site depuis l'époque coloniale, l'ancien stade Mangin a été utilisé autrefois autant pour le sport que pour les prise d'armes. Pour la petite histoire rappelons qu'un jour de 1953, un soldat de la citadelle interpella un gars en train de courir autour du stade en lui faisant remarquer que le sport était interdit aux heures chaudes... La réponse fut en substance : "Je m'appelle Bigeard et je vous em...."...


Pour citer seulement trois manifestations symboliques de la présence militaire française à Hanoï, rappelons notamment que c'est à cet emplacement qu'eurent lieu :

- la prise d'armes du 18 mars 1946 consacrant le retour des Français de Leclerc à Hanoï en 1945, cérémonie au cours de laquelle furent présentés les trois emblèmes des régiments ayant défendu la citadelle lors du coup de force japonais du 9 mars 45 (voir billet n°1) :




- la prise d'armes du 28 octobre 1952 au cours de laquelle le 6° BPC du chef de bataillon Bigeard fut "abondamment" décoré à l'issue du raid de Tulé, déclenchant ainsi de furieuses polémiques contre le "bataillon Zatopek" qui venait de se voir octroyer 400 décorations d'un seul coup, le chef de corps étant lui même fait commandeur de la Légion d'honneur par le ministre de Chevigné ;



- la dernière descente aux couleurs françaises le 8 octobre 1954 au soir, à quelques heures de l'entrée du Vietminh dans Hanoï, cérémonie immortalisée par un reportage photo de Life et qui servit de pages introductives à Lucien Bodard pour la rédaction de son livre "La guerre d'Indochine".



Voici précisément comment Lucien Bodard décrit cette dernière cérémonie, avec son style très caractéristique, dans son livre "La guerre d'Indochine" :
" Dans Hanoï qui n'est plus qu'une carcasse, le jour de l'évacuation est arrivé ; c'est le 9 octobre 1954. Le pavillon français est abaissé le 8 au soir, au cours d'une cérémonie très simple. C'est déjà la nuit et un typhon souffle. Le vent et la pluie s'engouffrent à l'intérieur du stade Mangin, si banal avec sa piste de terre, ses agrès et ses buts de football. Au centre se dresse un mât ; il se perd dans le crépuscule, disparaissant dans les nuages, à ras de terre; C'est à peine si l'on voit le drapeau qu'il porte, le dernier drapeau français à Hanoï.
J'entends des ordres rauques. Quelques centaines d'hommes présentent les armes. Un sous-officier descend l'étendard, le plie et l'embrasse pendant que les clairons sonnent tristement. Le silence s'établit, mais je verrai toujours le visage du général Cogny, tous les visages secs et durcis de ses soldats qui en quelques secondes ont touché le fond de l'amertume."


Plus d'un demi-siècle après ces événements, l'emplacement de l'ancien stade Mangin est devenu aujourd'hui un espace vert bien décoré grâce à de nombreuses plantes et à des pelouses bien entretenues, régulièrement utilisé pour des manifestations populaires, notamment pour les reportages photos des étudiants qui fêtent leurs diplômes en arborant l'Ao dai traditionnel pour les filles :





Une fois traversé l'ancien stade Mangin, il  faut se diriger en direction de l'imposante Porte Sud, aussi appelée Porte Doan Môn, pour accéder à l'ancienne citadelle :


La Porte Sud de la citadelle





Extrait du guide "Le Petit Futé" :

" La porte Doan Môn était l'entrée protocolaire de la cité interdite, au sud de celle-ci. Elle présente des parties originales du XVe siècle et des parties restaurées au XIXe siècle. Construite dans le style chinois, en brique, elle est surmontée d'un pavillon à deux niveaux.
En 2012, des fouilles conduites au nord de la porte Doan Môn ont révélé la présence d'un ancien ouvrage hydraulique en brique remontant à la dynastie des Ly (XIe siècle), situé à 4,2 m au dessous du sol et d'une dimension très importante. De nombreuses hypothèses ont été formulées sur son utilisation, notamment celle d'une irrigation à caractère symbolique pour apporter l'eau qui est un des éléments importants du Feng Shui, prodiguant longévité et prospérité à la cour impériale et au pays."

A l'époque de  la guerre d'Indochine, sans doute pour des problèmes de logement, des constructions légères avaient été élevées sur la plateforme de la Porte Sud pour héberger du personnel célibataire, constructions qui ont fort heureusement été abattues pour redonner son cachet originel à l'édifice.


Après avoir franchi la Porte Sud on pénètre dans la zone de ce qui était autrefois la caserne Lizée et où s'élevait autrefois dans la partie sud le palais Kinh Thiên,


Extrait du guide "Le Petit Futé" :

" Le palais Kinh Thiên remontait au début du XVe siècle. Il a été détruit par les Français en 1886 ; ils y ont installé le quartier général de leurs forces d'artillerie. Aujourd'hui ne subsistent que des vestiges : escaliers et dragons en pierre sculptée. Le palais se situe au coeur de la cité interdite et était utilisé à l'occasion du sacre des rois. À partir des vestiges, il faut l'imaginer, construit sur une plate-forme surélevée, entouré d'une véranda et accessible par de grands escaliers latéraux. La double toiture était soutenue par des piliers en bois. Les dragons de pierre portent la marque du style en vigueur sous la dynastie des Lê."

En suivant l'allée principale en direction du nord de la citadelle, on longe dans un premier temps un ensemble de bâtiments datant de l'époque française qui hébergeaient autrefois les services et sur lesquels figure souvent la date de construction ; cette dernière se situe généralement dans la période comprise entre 1897 et 1904. Si j'en crois ce que j'ai lu dans le livre "Heures tragiques au Tonkin" de Françoise Martin, Ed. Berger-Levrault, Paris, 1948, il semblerait que ce soit dans ces bâtiments qu'avaient été enfermés les prisonniers de la citadelle après le coup de force du 9 mars 45... Les tués de l'attaque menée par les Japonais auraient été inhumés pour leur part dans un petit cimetière ouvert dans l'enceinte même de la citadelle... :








En arrivant à hauteur du bâtiment qui hébergeait autrefois la Direction de l'Artillerie on aperçoit sur la droite la Porte Est dite Porte de l'Horloge, horloge aujourd'hui disparue, qui permettait de rejoindre les emprises du 4° RAC et du 9° RIC :

La Porte Est de la citadelle, dite Porte de l'Horloge




La Porte Est de la citadelle, dite Porte de l'Horloge autrefois


En tournant sur la gauche on pénètre dans la partie principale de la caserne Lizée, constituée par un grand bâtiment en parfait état et une cour intérieure entourée de pavillons remarquablement entretenus :













Les bâtiments de l'ancienne Direction de l'Artillerie, remarquablement restaurés, sont devenus aujourd'hui un musée archéologique consacré à la préservation des vestiges retrouvées lors des fouilles réalisées sur l'emplacement de l'ancienne citadelle ou léguées par l'histoire :













De l'autre côté de la place d'armes, face au fronton du bâtiment principal, on découvre une plateforme à laquelle on pouvait accéder par un escalier séparé en trois parties par des dragons de pierre :

Les escaliers aux dragons


Afin de mieux comprendre la spécificité de ce site on peut se reporter aux commentaires du livre du docteur Edmond Courtois "Le Tonkin français contemporain" paru en 1891 aux Editions Lavauzelle :
"Au centre de la citadelle se trouve une deuxième enceinte,en briques comme la première, et qui sert à protéger et à entourer la pagode royale. Cette pagode qui est passée depuis vingt-cinq ans par tant d'alternatives, est précédée d'un escalier à rampe de granit sculpté qui donne accès à une vaste terrasse. Cet escalier est divisé en trois parties : une centrale réservée au roi seul et deux latérales réservées aux mandarins de sa maison. De magnifiques dragons en granit servent de séparation. C'est dans cette pagode que les empereurs d'Annam venaient prêter serment de suzeraineté à l'empereur de Chine ; c'est là  que les compagnons de Francis Garnier se réfugièrent à la mort de leur chef pour y défendre leur vie à outrance."


Sur la photo ci-dessous on distingue parfaitement le réduit dans lequel se réfugièrent les compagnons du commandant Rivière suite à la mort de ce dernier en mai 1883, car les Pavillons Noirs menaçaient de poursuivre leur attaque pour chasser les Français de Hanoï ...

Rappelons que la citadelle de Hanoï, conquise une première fois par le lieutenant de vaisseau Francis Garnier en novembre 1873, fut à nouveau reprise par le lieutenant de vaisseau Henri Rivière en avril 1882 lors des combats menés contre les Pavillons noirs.
Comme on peut le constater, le mur d'enceinte dont il est fait mention dans le texte du docteur Courtois et qui a depuis longtemps disparu, était encore visible lorsque cette photo a été prise :


Les escaliers et le réduit de la citadelle à l'époque de la conquête


Dans les années cinquante l'état-major des troupes françaises était  implanté dans le bâtiment élevé sur la plateforme, celui-la précisément où par la suite le général Giap installa lui aussi on poste de commandement. Sur la photo ci-dessous prise par un journaliste américain, on voit bien la physionomie du site en 1953-1954 avec à droite le bâtiment principal de la caserne Lizée, au fond un des pavillons et à gauche les escaliers aux dragons menant au PC :





En poursuivant la visite au nord de la cour centrale on pénètre ensuite dans une zone d'arrière cours et de bureaux occupés pendant la guerre du Vietnam par l'état-major du général Giap qui là aussi avait repris les locaux des Français :










Les locaux de l'état-major vietnamien pendant les années soixante



En raison de la menace des bombardements américains, des bunkers souterrains avaient été aménagés pour l'état-major, et que l'on peut visiter en empruntant un escalier pentu qui descend une dizaine de mètres sous terre :


Les bunkers enterrés


Au nord des bâtiments qui abritaient l'état-major de Giap, on trouve une zone arborée avec des arbres magnifiques datant de l'époque coloniale, clôturée sur les abords nord par un mur d'enceinte et une tour fermant la zone accessible aux touristes. Cette zone est celle réservée avant l'arrivée des Français au Pavillon des Concubines.

Extrait du guide "Le Petit Futé" :
" Le pavillon des Concubines est une construction de brique surmontée d'une structure à plusieurs toits. Destiné aux femmes de la cour, il a été bâti au XIXe siècle et reconstruit pendant la période coloniale."



Le secteur compris entre cette tour et la porte Nord de la citadelle étant une une zone militaire non visitable, le visiteur est contraint de contourner ce secteur pour accéder à la porte Nord :




Il faut donc ressortir de l'ancienne citadelle par la porte Ouest, emprunter l'ancien boulevard Pierre Pasquier jusqu'au niveau de l'église des Bienheureux, puis tourner à droite et longer ensuite l'ancien boulevard Carnot jusqu'à la porte Nord :




La porte Ouest de la citadelle


En remontant vers le nord l'ex boulevard Pasquier, on passe devant un blockhaus extérieur à la citadelle puis on longe l'ancienne Direction de l'Intendance dont les feuilles d'acanthe ornent encore le fronton de certains bâtiments datant des années 1906-1907, la plupart en très mauvais état :






L'ancienne Direction de l'Intendance


Arrivé à l'intersection avec l'ex boulevard Carnot on remarque sur le trottoir opposé l'église des Bienheureux Martyrs, construite en 1932 en mémoire des prêtres suppliciés au Vietnam, à la place d'une chapelle datant du XIX° siècle. Dans cette église, récemment restaurée, on note la présence de nombreuses tableaux portant des inscriptions datant de la présence française :





 
L'église des Bienheureux

Si l'on en croît ce qu'a écrit Lucien Bodard dans son livre "La guerre d'Indochine", c'est dans cette église des Bienheureux Martyrs que le général de Lattre serait venu assister à la messe de noël le 24 décembre 1950... provoquant le courroux du prêtre car le "Roi Jean" était en retard... :
" Cette nuit de noël, le canon est le fond sonore de la cité. Tout est austère. La gravité ambiante imprègne particulièrement la messe célébrée dans l'église des Martyrs. C'est là que se rend de Lattre avec la cohorte sévère et rutilante des officiers de l'Entourage, avec l'excellent M. Letourneau aussi. Lui, le superbe général en chef et haut-commissaire, va à l'office le plus pauvre, le plus dépouillé. L'église est au voisinage de la citadelle. c'est un immense bâtiment en ciment armé nu, froid, pourvu seulement des objets les plus essentiels du culte, les meilleurs marché. Un prêtre français, très jeune, la figure d'ascète, célèbre Jésus avec une simplicité poignante. A ses côtés, deux enfants de chœur annamites.Ni crèche, ni illuminations, juste quelques fleurs blanches sur l'autel. Comme luxe, le seul, un orgue grêle, accompagné de criardes voix de femmes chantant Noël.
Le général et le ministre sont placés dans le chœur. A genoux,ils prient, Letourneau la tête baissée pieusement, de Lattre la tête toute droite. Mais est-ce par humilité ou par orgueil que le général a choisi ce sanctuaire du misérable pour rendre grâces au Seigneur ? Si c'est par orgueil,il a été puni en arrivant. Dieu ne l'a pas attendu,l'officie a commencé ans lui qui était en retard. En arrivant, c'est lui qui a du "poireauter" devant le portail fermé jusqu'à l'offertoire. C'est seulement alors qu'il est entré. Cette fois il a été vaincu."

Ajoutons enfin que c'est dans cette église que le général Salan vint le 4 octobre 1954 assister à un dernier office à la mémoire de tous ceux qui étaient tombés en Indochine, quelques heures avant de quitter définitivement Hanoï.


Une fois ressorti de l'église des Bienheureux, en longeant l'ex boulevard Carnot et en revenant en direction de l'Est on arrive à la Porte Nord de la citadelle, aussi appelée Bac Môn, accessible seulement depuis l'extérieur.



Extrait du guide "Le Petit Futé" :
" Quant à la porte Nord (Bac Môn), reconstruite en 1805, elle est aussi construite en brique, mais les angles sont renforcés en pierre. On y observe des motifs figurant une fleur de lotus. Les stèles sont gravées de trois caractères signifiant " porte principale du Nord " (Chinh Bac Môn). Les traces de boulets de canon constituent la preuve, disent les guides vietnamiens, de l'agression française contre le Tonkin. Une plaque de pierre gravée en français indique : " 25 avril 1882, bombardement de la citadelle par les canonnières Surprise et Fanfare "."




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La porte Nord de la citadelle



La Porte Nord autrefois


Sur la façade de cette fortification on observe encore aujourd'hui les traces laissées par les tirs des canonnières françaises du commandant Rivière depuis le Fleuve Rouge, lors de la prise de Hanoï en 1882, visibles également sur la photo ci-dessus, prise au début du siècle :






Étrangement, la pierre gravée en français évoquant ce bombardement, n'a pas été enlevée par les Vietnamiens après le départ des Français alors que les stèles commémorant les morts des officiers tombés lors des deux prises de Hanoï (Garnier, Rivière, Balny d'Avricourt) ou les monuments aux morts français ont été rasées :





La visite de la porte Nord, payante, n'offre pas un grand intérêt en soi hormis le fait que son architecture est d'inspiration chinoise, car la vue est limitée.


Pour les passionnés d'histoire militaire, la visite de la Porte Nord permet toutefois de jeter un coup d’œil sur la zone militaire interdite d'accès dont les bâtiments intérieurs semblent être restés dans l'état où ils étaient en 1954... :




Après la visite de la porte Nord, en poursuivant sur l'ex boulevard Carnot en direction de l'Est on rejoint à nouveau le square où s'élève l'ancien château d'eau, point de départ initial de cette visite de la zone de la citadelle...
















1 commentaire:

  1. Bravo pour cette reconnaissance mémorielle de ce que fut pour nos deux pays le drame de la guerre d'Indochine et en particulier le tournant que fut la catastrophe de l'évacuation de Cao Bang, ignorée de nos livres d'Histoire.

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