mardi 18 juillet 2017

Retour à Diên Biên Phu (9) : les acteurs, le général Navarre


          En complément des photos relatives à ma visite du site de Diên Biên Phu, j'ai décidé de publier des extraits de documents que j'avais pu trouver sur ce sujet et qui sont susceptibles d'intéresser certains lecteurs du blog.

Le premier document est constitué par un rappel de la biographie du général Navarre extraite de Wikipédia,  complété par un reportage paru dans la revue Indochine - Sud-est asiatique de février 1954 sous la plume de Max Olivier Lacamp, grand reporter au Figaro, spécialiste de l'Asie et co-fondateur de l'agence France Presse.



           Le général Henri Navarre  est né le 31 juillet 1898 à Villefranche-de-Rouergue et décédé le 26 septembre 1983 à Paris. Après avoir combattu pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, il a commandé le corps expéditionnaire français en Extrême-Orient pendant la guerre d'Indochine.

Carrière militaire (source Wikipédia)

Première Guerre mondiale

"En 1916, Henri Navarre entre à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr promotion 1916-1917 « Des drapeaux et de l’Amitié américaine ». Il est envoyé au front en mai 1917 au 2e régiment de hussards. Le 15 août 1917, l’aspirant Henri Navarre, rejoint le 4e escadron avant de prendre le commandement d’un peloton au 2e escadron le 1er novembre de la même année. Nommé sous-lieutenant à titre temporaire (21 avril 1918) au 2e escadron, il est cité à l’ordre de la 4e Brigade Légère pour son action entre le 28 septembre et le 4 octobre 1918 et reçoit la croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. Détaché pour suivre les cours de la promotion 1916-1917 de St-Cyr dès le 21 février 1919, il est finalement rayé des contrôles du 2e régiment de hussards le 11 mars 1919."

Entre-deux-guerres

"De 1919 à 1921, Navarre fait la campagne de Syrie dans un régiment de spahis. Il est affecté en Allemagne dans un régiment de chasseurs à cheval en 1922. En 1927, il rentre à l'École supérieure de guerre. Il participe à la pacification du Grand Atlas et du Sud marocain de 1930 à 1934. De 1934 à 1936, il est capitaine au 11erégiment de cuirassiers. Il rentre ensuite au Service de Renseignements de l'État-Major de l'Armée dont il dirige la section « allemande » de 1938 à 1940. En 1939, avant l'entrée en guerre, il élabore le projet « Desperado » d'élimination d'Adolf Hitler par un attentat suicide perpétré par un ancien des Brigades internationales1. Peu soutenu par son supérieur, le colonel Rivet, ce projet sera refusé par le président du conseil Édouard Daladier1."

Seconde Guerre mondiale

"Après l'Armistice, Navarre poursuit ses activités dans l'Armée d'armistice et est nommé chef du 2e bureau du général Weygand à Alger chargé à la fois du renseignement et du contre-espionnage. Rappelé en 1942 pour ses actions anti-allemandes, il entre alors dans la clandestinité et devient chef du SR de l'ORA. Il participe ensuite à la libération de la France à la tête d'un régiment blindé de la 1re Armée. Il est promu général de brigade en 1945."

Après la guerre

"Affecté en Allemagne dès 1945, il occupe différents postes et notamment ceux de commandant de la 5e division blindée et chef d'état-major du maréchal Juin.
Hormis un bref séjour en Algérie où il occupe, de 1948 à 1949, le poste de commandant de la division de Constantine, il reste en Allemagne jusqu'en mai 1953.
Il est nommé général de corps d'armée en 1952."

Indochine

"En mai 1953, Navarre remplace le général Salan au poste de commandant en chef des forces françaises en Indochine. Général peu connu, proche du général Juin, Navarre est chargé de trouver une « sortie honorable » à la guerre. Après une tournée d'inspection sur le terrain, il retourne en juillet à Paris pour proposer un plan.
Après avoir évacué la base de Na San du 7 au 12 août 1953, Navarre a l'intention d'adopter une attitude défensive dans le Tonkin avec néanmoins des opérations ponctuelles (« Hirondelle »« Camargue » et « Mouette ») tout en continuant la pacification de la Cochinchine en attendant que l'Armée nationale vietnamienne prenne le relais.
Ses demandes de renforts restent vaines auprès du gouvernement. Pourtant, Navarre se décide à investir la plaine de Dien Bien Phu (opération Castor) et d'y installer un camp retranché destiné à prévenir les attaques du Viet-Minh contre le protectorat du Laos. Cette décision de s'installer dans une plaine entourée de collines est un non-sens militaire. Cependant, ce choix est assumé par le général Navarre car ce positionnement dangereux fait partie de sa stratégie. Persuadé de sa supériorité militaire, le général pense qu'en se positionnant à Dien Bien Phu il attirera l'armée viet-minh qu'il pourra vaincre, malgré son positionnement désavantageux, grâce à la supériorité de ses troupes et une bonne préparation à subir un état de siège. L'idée stratégique est donc de tendre un piège à l'armée viet-minh en l'attirant vers une proie d'apparence facile afin briser son avancée vers le Laos. Bien que préparé et informé de la préparation de l'offensive viet-minh dans les collines encerclant la base française, le général Navarre ne prend pas en compte les renseignements dont il dispose. L'armée viet-minh, bien préparée (grâce notamment à du matériel chinois et russe) assiège violemment la base française pendant presque deux mois. La bataille de Diên Biên Phu est un échec complet pour l'armée française, prise à son propre piège. En janvier 1954, il lance l'opération « Atlante » en Centre-Annam pour éliminer les unités militaires du Viêt-Minh et permettre aux forces du régime de l'empereur Bao-Daï de prendre le contrôle politique et administratif de cette zone."








"Considéré comme le principal responsable de la chute de Dien Bien Phû, d'autant qu'il a maintenu l'opération « Atlante » pendant toute la bataille (13 mars-7 mai), Navarre est remplacé le 3 juin 1954 par le général Ely, nommé, avec Salan comme adjoint militaire, haut commissaire en Indochine, car il remplace aussi le haut commissaire Dejean.

En 1956, Navarre fait valoir ses droits à la retraite. La même année, il publie son livre Agonie de l'Indochine dans lequel il justifie son action en Indochine et rend la classe politique responsable de la défaite."


          Le second document est une lettre adressée par le général Navarre à Jules Roy, suit à la parution de son livre "La bataille de Diên Biên Phu", Julliard, 1963, afin de rectifier un certain nombree de critiques portées contre le général.

Mis en cause par Jules Roy dans son livre "La bataille de Dien Bien Phu", le général Navarre fit paraître le 14 novembre 1963 par le biais du journal "L'express" une lettre de mise au point :
« L'Express » vient de publier une série d'articles extraits d'un livre de M. Jules Roy sur la bataille de Diên Biên Phu. Ce livre a été présenté au public comme une étude sérieuse, et son auteur, qui s'est décerné à lui-même un diplôme d'historien, se gargarise de ce titre tout le long du volume.
Mais n'est pas historien qui veut. Il faut certaines qualités dont les principales sont l'honnêteté intellectuelle, le sens critique, la compétence et l'objectivité. M. Jules Roy les possède-t-il ?

L'honnêteté intellectuelle et le sens critique d'un historien se manifestent avant tout par la rigueur avec laquelle il choisit le contrôle ses sources d'information. Que sont celles de M. Jules Roy ?
Il considère comme valables à cet égard de simples articles de journaux (cf. « l'Express » du 26 septembre 1963, page six, rubrique « courrier »). C'est ne pas se montrer difficile !
Ignorant sans doute que le vieux principe « Testis unus, testis nullus », il trouve tout à fait normal de retenir les déclarations d'informateurs uniques, c'est-à-dire seuls à témoigner sur un fait donné, dont certains manifestement intéressés à déformer la vérité et dont les affirmations ne sont corroborées par personne ou sont même démenties par d'autres informateurs. Son livre est établi, pour une très large part, sur des « témoignages » de ce genre. Si l'on veut des exemples particulièrement frappants, le lecteur peut se reporter pour le premier à « l'Express » du 10 octobre 63, pages 26 (colonne trois et quatre) et 27 (colonne un) pour le second à « l'Express » du 24 octobre 1963 page 27 (colonne 2).
M. Jules Roy ignore probablement aussi le vieux dicton « Qui a menti mentira » c'est pourquoi il garde toute sa confiance à un informateur - de l'honneur duquel il se porte même garant - convaincu d'avoir menti (je dis bien menti, car il ne peut s'agir d'une erreur) sur un point important de ses déclarations (référence « l'Express » du 26 septembre 1963 page six, rubrique « courrier »). On comprend d'ailleurs fort bien l'indulgence de M. Jules Roy, car c'est sur les dires de cet informateur que repose presque uniquement - on le verra plus loin - la partie stratégique de son livre.
S'Il s'agit non plus de témoignages oraux, mais de documents écrits, les lecteurs de « l'Express » qui, désireux d'enrichir leur bibliothèque historique d'un ouvrage vraiment pas comme les autres, aurait acheté le livre de M. Jules Roy, pourront consulter avec fruit la « deuxième partie » intitulée « commentaires et documents ». Ils y trouveront de nombreux échantillons des originales conceptions de l'auteur en matière de critique historique.
Bien que cette « deuxième partie » soit bourrée - car cela « fait sérieux » - de quantité de documents sans intérêt, on y cherchera vainement le texte de certain « rapport » que M. Jules Roy dit avoir lu (que n'en a-t-il pris copie !) et sur lequel il a échafaudé toute une théorie. En regardant bien, cependant, on découvrira, à la page X., que le soi-disant rapport en question s'est subrepticement transformé en un simple exposé oral dont absolument rien n'établit l'authenticité.

On trouvera de soi-disant « Documents » s'offrant comme garantie de véracité : une première lettre « non acheminée » et « non signée » (voir page 502), un papier intitulé « procès-verbal manuscrit » et qui, très curieusement, n'a pas été enregistré (voir page 220). On remarquera, présentés comme documents, des textes dits « condensés », euphémisme qui signifie résumés et tronqués et dans lesquels des points remplacent certains passages.
On s'étonnera de constater que les documents sont mélangés dans un véritable galimatias avec des commentaires qui sont de l'auteur lui-même, mais que des lecteurs peu avertis peuvent prendre pour des textes authentiques.

On pourrait citer cent exemples des étonnantes libertés que M. Jules Roy prend avec l'histoire en matière d'information. En fait, tout est bon. Quand un texte sur un témoignage ne « colle » pas avec ce qu'il veut prouver, il le sépare du contexte, le tronque, le commente, le malaxe pour le faire « coller ».
Quand il n'a pas d'information suffisante, il déduit, imagine ou suppose, mais ses déductions, imaginations ou suppositions sont assez astucieusement rédigées pour qu'elles apparaissent au lecteur naïf comme des certitudes.
Si les informations lui manquent complètement, l'historien auto-diplômé Jules Roy a recours à l'imagination pure, et c'est alors que se manifestent pleinement ses dons exceptionnels. Il voit tout, entend tout. Il assiste aux conciliabules les plus secrets, décèle les mobiles les plus cachés, pénètre les intentions, lit dans les pensées et scrute les cœurs. Bref, il est extralucide et il espère sans tarot, sans boule de cristal, sans marc de café, par les seules ressources de son cerveau.
On comprend alors que ses amis de « l'Express » lui aient décerné un titre à faire crever de jalousie ses émules des baraques foraines. Ils l'ont baptisé « l'Homme qui sait ». Malheureusement, la voyance ne fait pas encore partie des qualités qu'on demande à un historien.

De l'historien, M. Jules Roy a-t-il au moins la compétence ? Que connaît-il notamment en stratégie ? - car c'est surtout de stratégie qu'il s'agit dans son livre.
Il a été sous-officier, ensuite officier d'infanterie, puis d'aviation. Le seul commandement qu'il ait exercé en Indochine était surtout administratif, et ceux qui l'ont connu ont rarement eu l'impression qu'il s'intéressait particulièrement aux aspects tactiques de son métier. On ne lui chicanera cependant pas les connaissances normales d'un officier de son grade. Mais pour parler stratégie autrement qu'au Café du Commerce - et surtout pour en parler de façon aussi péremptoire qui le fait, il faut avoir acquis, faute d'expérience, une certaine formation intellectuelle.
Il saute aux yeux, en lisant M. Jules Roy, que ce n'est pas son cas. S'il fait preuve d'une certaine connaissance des détails, il ne s'élève jamais aux vues d'ensemble. Il ne soupçonne même pas les problèmes complexes qui se posaient en Indochine au Haut Commandement. Il n'a notamment rien compris à la situation dans laquelle celui-ci a été placé, en novembre 1953, par un gouvernement qui n'avait pas su ni lui donner les moyens nécessaires à l'exécution de sa mission, ni adapter cette mission aux moyens fournis.

Il ne s'est même pas posé la question - qu'un historien digne de ce nom eu, au premier coup d'œil, reconnue comme la plus importante de toutes - de savoir s'il existait un moyen autre que l'opération de Diên Biên Phu permettant de sortir au moindre mal de cette situation. Si M. Jules Roy s'était posé cette question - à laquelle personne jusqu'ici n'a apporté de réponse - nul doute qu'il eut découvert en un tournemain une solution géniale, car il est un virtuose du fameux système « n'y a qu'à », bien connu de tous les stratèges en chambre.

L'incompétence de M. Jules Roy en matière stratégique est telle qu'elle a fait de lui le jouet de certains de ses interlocuteurs qui avaient avantage à déformer la vérité et à lui faire prendre des vessies pour des lanternes.
L'un d'eux notamment, qui a joué sous mes ordres un rôle prépondérant dans toute l'affaire de Diên Biên Phu, et qui, seul de mes grands subordonnés, n'a pas été complètement à la hauteur de sa tâche, avait, à partir du moment où il a paru évident que la bataille pourrait mal tourner, forgé de toutes pièces une thèse destinée à tirer son épingle du jeu. Thèse qu'il avait cherché par tous les moyens à répandre dans les milieux politiques, où beaucoup ne pouvaient que l'accueillir avec ferveur, car ils y trouvaient leur compte.
C'est cette thèse - parfaitement connue de moi depuis son origine, mais revue et augmentée - que M. Jules Roy reprend maintenant à peu près intégralement, au point qu'à la lecture de certaines pages, je me suis demandé si elles étaient de lui ou s'il les avait écrites sous la dictée.
M. Jules Roy fait sienne ladite thèse, bien qu'il sache parfaitement qu'elle ne s'appuie sur aucun document authentique (s'il y en avait, on aurait été trop heureux de les lui fournir !) et que, par contre, de nombreux textes qu'il a eus en sa possession en démontrent formellement la fausseté.
Quelle est la raison de cet étrange comportement ? On ne peut s'empêcher de penser à une connivence avec l'auteur de la thèse en question qui est pour M. Jules Roy une connaissance de longue date et qui semble exercer sur lui un attrait très particulier (n'a-t-il pas écrit jadis de lui : « si j'étais une femme, j'en aurais peut-être été amoureux » ?) Mais le doute, même le plus léger, devant profiter à l'accusé, on ne retiendra que la seule explication qui reste et qui est l'incapacité où il s'est trouvé de reconnaître qu'on le trompait - son incompétence, en un mot.

Incompétent, M. Jules Roy est-il au moins objectif ?
Il y a longtemps appartenu à l'armée. Il ne s'y sentait pas à l'aise et ne semble pas y avoir toujours été apprécié à sa valeur, tout au moins à celle qu'il s'attribue. D'où, chez lui, à l'égard du commandement, des aigreurs longtemps ruminées dont les effluves imprègnent tout son livre et dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne le prédisposent guère aux jugements sereins.
Il est notoire également que, depuis des années, M. Jules Roy apporte sa compréhension émue, sa sympathie chaleureuse et son admiration inconditionnelle à l'adversaire quel qu'il soit : Vietminh d'abord, puis F.L.N. Il est de ces Français pour qui leur pays a toujours tort. C'est ce sentiment de la culpabilité de la France qui, dit-il, l'a placé devant un cas de conscience déchirant et l'aurait amené à quitter l'armée. C'est ce sentiment, ouvertement affiché dans de nombreux écrits, qui lui a valu de la part des autorités d'Hanoï, pour ce qu'il appelle son « Enquête », des facilités qui n'aurait été donné à nul autre.
Mais rien n'est gratuit dans le monde communiste, et M. Jules Roy y a été l'objet d'un bourrage de crâne supérieurement organisé qui, sur un cerveau aussi bien mis en condition que le sien, s'est révélé d'une remarquable efficacité et lui a fait prendre pour argent comptant la propagande vietminh la plus grossière. Son ingénuité en matière stratégique étant, il était facile de lui suggérer les thèses les plus contraires à la vérité et même le simple bon sens.

Si l'on veut apprécier à sa juste valeur l'objectivité de M. Jules Roy, il ne faut surtout pas oublier que ses tendances l'apparentent à un groupe politique dont il a été souvent le porte-parole, parfois fanatique, et qui a joué dans la guerre d'Indochine, en attendant d'en faire autant dans celle d'Algérie, un rôle particulièrement néfaste.
Ce groupe politique était partisan de la paix à peu près à n'importe quelle condition. Il ne s'agit pas ici de discuter s'il avait tort ou raison. Ce qui est certain, c'est que la France était en guerre et que, de la part des Français, tout ce qui affaiblissait moralement et matériellement la position de leur pays était criminel.
Or les amis de M. Jules Roy n'ont cessé d'entraver l'action des gouvernements qui essayaient timidement de mener la guerre à bonne fin. Ils ont continuellement encouragé l'adversaire, jeté le trouble dans le moral de la nation et des troupes et, dans certains cas, favorisé la trahison.
En pleine opération de Diên Biên Phu, ils ont fait pression sur le gouvernement inconsistant qui était alors au pouvoir pour l'amener à accepter la Conférence de Genève, décision qui a incité le Vietminh à jouer son va-tout dans l'attaque du camp retranché et lui a permis d'obtenir de la Chine une aide considérable qu'il n'aurait jamais obtenue sans cela et dont l'augmentation subite et massive fut la cause déterminante de notre défaite.
Aussitôt Diên Biên Phu tombé, les amis de M. Jules Roy ont créé dans les sphères politiques françaises une panique qui s'est traduite en Indochine par l'abandon - ordonné par Paris, mais que la situation sur place n'imposait nullement - des atouts militaires considérables que nous possédions encore et a transformé la défaite grave, mais limitée que nous venions de subir en un désastre général.
Arrivés à la barre à la faveur de cette panique, les amis de M. Jules Roy ont, pour gagner un pari qui ne pouvait l'être qu'au détriment de la France, accepté à Genève une véritable capitulation, se traduisant par la coupure du Vietnam - coupure certainement inévitable et dont on voit aujourd'hui les suites - et par l'éviction totale, qui en était la conséquence fatale, de l'influence française.

De tout cela, il est bien évident que l'historien Jules Roy ne peut pas et ne pourra jamais convenir sans renier à la fois ses sympathies pour l'adversaire, ses attaches politiques et son propre passé.
Il le peut d'autant moins qu'il lui faudrait aussi désavouer tous ses écrits antérieurs. Car ce qu'il appelle les conclusions de son enquête ne sont pour la plupart que les développements de ce qu'il a écrit depuis longtemps. À l'inverse de ce que fait tout historien - étudier d'abord un dossier et n'en dégager qu'ensuite des conclusions - M. Jules Roy est parti d'idées préconçues et depuis longtemps exprimées, qu'on trouve éparses dans ses articles et dans ses livres, a minimisé, ou tout simplement éliminé, quelque valables qu'ils soient, des documents et témoignages qui infirmaient ses thèses et n'a retenu ou mis en valeur que ceux qui semblaient les renforcer. Il s'est délibérément abstenu de prendre contact avec certains témoins particulièrement bien placés, mais dont il savait d'avance que les déclarations ne seraient pas conformes à ses théories. Avec d'autres, qu'il savait également défavorables à ces idées, il s'est contenté d'entrevues de pure forme, uniquement destinées à lui permettre de dire qu'il les avait entendus. Il a agi de même avec les documents. Bien qu'ayant eu entre les mains un dossier très complet, il en a complètement écarté des pièces essentielles et indiscutables parce qu'elles allaient à l'encontre de ce qu'il voulait prouver. Il s'agit là d'une véritable tromperie à l'égard du public

Si un historien et un monsieur qui raconte des histoires, on comprend que M. Jules Roy revendique ce titre. Mais cette noble ambition ne lui fait tout de même pas oublier le légitime souci de ses intérêts matériels et il y a trop d'expérience ne pas savoir quel substantiel complément de tirage procure le sensationnel, vrai ou faux.
Aussi a-t-il truffé son livre de ragots ramassés un peu partout, des mots historiques post fabriqués ou habilement arrangés, d'anecdotes partiellement ou totalement apocryphes, d'insinuations perfides rédigées de façon aussi diffamatoire qu'il est possible sans tout de même trop risquer d'aller faire connaissance avec la paille humide des cachots. Il a cherché à allécher ses lecteurs en leur servant les morceaux jugés par lui les plus croustillants de cette cuisine faisandée, réunis sous forme d'articles chocs dans « l'Express » ou de placards publicitaires dans d'autres journaux.

Manque d'honnêteté intellectuelle ou de sens critique, imagination délirante, absence totale de contrôle des informations, incompétence quelquefois poussée jusqu'à la puérilité, sympathie aveugle pour l'adversaire, fanatisme politique, parti pris en faveur de certains contre d'autres, recherche du sensationnel à tout prix, tous ces éléments se combinent pour faire que l'ouvrage de M. Jules Roy est tendancieux du début à la fin des notes et n'est qu'un amas de contradictions, d' inexactitudes et de contrevérités de toutes natures et de toutes tailles.
C'est à chaque page que l'on peut en relever. Pour ma part, et dans la partie du livre que je suis en mesure de contrôler (un tiers à un sixième environ), j'en ai démembré 133 exactement, de sorte que l'on peut affirmer, sans risque de se tromper, que l'ouvrage en contient certainement beaucoup plus de 300 et il ne s'agit là que « d'erreurs » (soyons polis !) matérielles et indiscutables à l'exception des insinuations, déductions, inventions et autres élucubrations qui, elles aussi, foisonnent. C'est en partant de ces données hautement fantaisistes que Mr Jules Roy prétend dégager des conclusions et porter des jugements. Étrange historien !

L'auteur de l'ouvrage ne peut être tenu pour un interlocuteur valable. Aussi ne discuterai-je pas avec lui ni maintenant, ni plus tard. L'essentiel de ce que j'aurais à dire est d'ailleurs contenu dans le livre que j'ai publié chez Plon en 1956 avec le titre « Annale de l'Indochine », livre auquel j'aurais peut-être à ajouter, mais certainement rien à changer.
Je ne pense pas que l'ouvrage de M. Jules Roy trouve grande audience auprès des lecteurs avertis et soucieux de vérité. Ceux-ci auront, avant même de m'avoir lu, compris rien qu'à l'allure générale du livre et au tam-tam publicitaire de mauvais aloi qui a appuyé son lancement, que ce qu'on leur présente comme de l'histoire est tout ce qu'on voudra, sauf cela. Ces lecteurs sont les seuls dont l'opinion compte pour moi. Je laisse volontiers à M. Jules Roy les amateurs de potins et de romans d'imagination.

Il reste cependant un mot à dire.
M. Jules Roy a l'inconscience d'avoir porté des jugements sur un certain nombre d'officiers qui furent sous mes ordres et dont les titres de guerre sont très supérieurs aux siens. Selon les besoins de sa thèse, il loue les uns et vilipende les autres.
J'avais, un moment, pensé à lui répondre sur ce point et sur ce point seulement, mais j'y ai renoncé, car je crois que tous, les louangés comme les vilipendés, m'en voudraient de faire croire au public qu'ils attachent une importance quelconque à ses appréciations.
M. Jules Roy, qui aime les comparaisons animalières, croit flatter les uns et humilier les autres en traitant les combattants de Diên Biên Phu et leurs chefs de « lions menés par d'autres lions dans la crinière était mangé aux mites ». Il oublie que - mité ou non - le lion n'a que mépris pour le chacal.

GENERAL NAVARRE

Le général Navarre est l'auteur de trois ouvrages :
  • Agonie de l'Indochine (1953-1954), édition Plon, 1956, 348 p.
  • Le Service de Renseignements (1871-1944), édition Plon, 1978 (coécrit avec un groupe d'anciens membres du SR)
  • Le Temps des Vérités (1940-1954), édition Plon, 1979, 461 p.



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